Tout le monde a entendu parlé du Classement des Bordeaux de 1855.
Un peu d’histoire et de géographie
Je vous ai parlé de Thomas Jefferson. Sa vie passionnante, ses voyages en France de 1784 à 1789 année de son retour aux Etats-Unis. Nous voici aujourd’hui en 1855, soit près de 70 ans après cet épisode.
Exposition Universelle de Paris de 1855. C’est la deuxième du genre après la grande exposition de Londres de 1851. Napoléon III souhaite mettre en avant tout ce que la France compte de talent, de génie dans les domaines agricole et industriel.
Pour l’agriculture, il fait demander à chaque région viticole d’établir un classement de ses vins. Il doit servir à illustrer plus particulièrement le génie français. Parmi toutes les régions, seuls les vins du département de la Gironde sont retenus. Napoléon III considèrera qu’ils sont les seuls à avoir le prestige suffisant.
C’est ainsi que nait le « Classement des Bordeaux de 1855 »
C’est la Chambre de Commerce et d’Industrie locale qui se charge du classement. Elle est dirigée par Lodi-Martin Duffour-Dubergier, président de la chambre de commerce, maire de Bordeaux, propriétaire de châteaux et négociant en vin.
À cet effet, il demande la création d’une carte des vignobles de Bordeaux indiquant l’emplacement des meilleurs crus de la région. Il charge également le syndicat des courtiers bordelais d’établir la liste des meilleures productions de la région.
Ils établissent cette liste « au pied levé », sans dégustation par manque de temps. Seul critère pris en compte : le prix de vente. Ils considèrent alors qu’au fil des décennies ces vins ont acquis une réputation bien assise, et que leur prix est le reflet fidèle de leur qualité.
Et Jefferson, alors ?
Justement.
Ils utilisent également comme points de référence des classements établis auparavant. Notamment ceux de l’ anglais Abraham Lawton (négociant en vin établi à Bordeaux entre 1742 et 1775) et de l’américain Thomas Jefferson en 1787 !
Naissance d’un classement
Le classement sera fait en 5 catégories de crus. 5 Premiers Crus – 14 Deuxièmes Crus – 14 Troisièmes crus – 10 Quatrièmes crus – 18 Cinquièmes crus
Tous les vins rouges viennent du Médoc à part le Château Haut-Brion produit dans la région des Graves. Pour les blancs, on n’a retenu que des vins liquoreux du Sauternais (Barsac et Sauternes). Le classement s’établit à trois niveaux : Cru Supérieur (Ch. D’YQUEM) – 9 Premiers crus – 11 deuxièmes crus
Voici la lettre des syndics des courtiers de commerce aux membres de la chambre de commerce de Bordeaux. Elle date du 18 avril 1855 :
« Messieurs,
Nous avons eu l’honneur de recevoir votre lettre du 5 de ce mois, par la quelle vous nous demandiez la liste complète des vins rouges classés de la Gironde, ainsi que celle de nos grands vins blancs.
Afin de nous conformer à votre désir, nous nous sommes entourés de tous les renseignements possibles, et nous avons l’honneur de vous faire connaitre, par le tableau ci-joint, le résultat de nos informations.
Vous savez comme nous, Messieurs, combien ce classement est chose délicate et éveille des susceptibilités. Aussi n’avons nous pas eu la pensée de dresser un état officiel de nos grands vins, mais bien de soumettre à vos lumières un travail dont les éléments ont été précisés aux meilleures sources.
Pour répondre au P.S. de votre lettre, nous pensons qu’en supposant que les 1ers crus valassent 3 000 francs, les :
Deuxièmes devraient être cotés : 2 500 à 2 700 ;
Troisièmes _________________ 2 100 à 2 400 ;
Quatrièmes ________________ 1 800 à 2 100 ;
Cinquièmes ________________ 1 400 à 1 600.
Nous sommes avec respect, Messieurs, vos bien dévoués serviteurs. »
Entre les lignes
On remarquera en examinant rapidement une carte des vignobles de la région de Bordeaux que ce classement ne retient que les seuls vins de la rive gauche de la Garonne. En effet, c’est la CCI de Bordeaux qui est en charge du classement, et qui ne sollicitera que les courtiers de Bordeaux. Ce ne sera pas le cas de la chambre de commerce de Libourne.
Et de ce fait, le classement exclue les vins de la rive droite (St Emilion, Pomerol et Fronsac) !
C’est ce qui amènera, 100 ans plus tard, l’interprofession de St Emilion à réagir. Elle organisera alors son propre classement, nous y reviendrons sûrement.